L’Exemple de Paul : Dépasser mon irritation et bâtir des ponts pour rejoindre ma culture.
Lorsque Paul s’adresse aux athéniens à l’aréopage en Actes 17, il commence son célèbre discours par un compliment : « Athéniens, je vous trouve à tous égards extrêmement religieux » (v22). C’est vraiment surprenant ! En effet, cela contraste fortement avec le début du passage, ou Luc nous rapporte l’irritation de l’apôtre : « Paul, passant du temps à Athènes, devient profondément irrité – ou exaspéré – dans son esprit » (v16). L’apôtre a dû expliquer à Luc à quel point il était choqué intérieurement à la vue de toutes ces idoles, autels, lieux d’adoration, omniprésents dans la ville. Mais il ne va pas demeurer dans cet état intérieur. Quand on écoute son discours, on voit qu’il a su être attentif à son irritation comme à un signe de l’Esprit. Puis Paul va savoir transformer cette irritation devant l’idolâtrie en un puissant moteur pour témoigner. Il va trouver à l’intérieur même de ce qui l’irrite dans la culture athénienne, un point commun, un point partagé : « peut-être qu’ils se trompent d’objet d’adoration, mais au fond d’eux ils sont religieux, et cela exprime un besoin, un désir d’être en relation avec Dieu ».
De cet exemple de Paul, nous pouvons retirer deux orientations pour notre témoignage au sein d’un monde sécularisé et idolâtre.
1. Dépasser mon irritation devant ma culture
Malgré son irritation, Paul n’a pas sorti son marteau-piqueur pour démolir les idoles des athéniens et changer leur culture. Cependant, il a tout fait pour rétablir l’autorité légitime : Jésus Christ. Ce faisant, il n’a pas hésité à choquer les athéniens en leur parlant de résurrection. Paul n’a pas étouffé son irritation pour adopter simplement la culture athénienne sans la critiquer, sans la remettre en question. Au contraire, il a fait preuve d’un sens d’observation hors du commun. Et il a su identifier le point de leur culture qui était le plus en manque de révélation, en manque d’Evangile : leur soif spirituelle mal orientée, et leur compréhension du divin réelle, mais faussée.
Bien souvent, dans l’église, nous voyons les chrétiens s’engager dans une guerre culturelle. Ils partent en croisade contre leur culture, s’y opposent et la condamnent. Certains adoptent une attitude iconoclaste et sortent le marteau-piqueur pour dénoncer systématiquement tous les aspects dérangeants de leur culture. Cette posture auto-protectrice et extrême est celle de gens qui se sentent assiégés par Babylone au milieu de leur Jérusalem, menacés dans leurs valeurs et leurs choix de vie. On peut la comprendre, mais une telle attitude n’est pas acceptable, car elle ne rend pas gloire à Dieu. Elle ne témoigne pas d’une réelle confiance en sa vérité et en son amour qui suffisent à nous protéger du mal.
Attention ! Une église motivée par l’exemple de Paul n’étouffera pas son irritation devant l’idolâtrie et la perversité de la culture environnante. Mais elle saura remettre en question, de façon positive et constructive, ce qui doit l’être. Elle saura, comme Paul, identifier l’élément de la culture qui est le plus en manque de révélation, en manque d’Evangile.
Par exemple, la quête identitaire des personnes de la communauté LGBTQ+ engagées dans une transition de genre, est certes mal orientée. Mais le malaise identitaire ressenti témoigne, en fait, de notre identité brisée. Ce malaise identitaire résulte de la chute, et ne peut trouver sa résolution que dans le Christ. Ce n’est pas en s’infligeant des souffrances dans son corps pour changer de sexe que l’on devient son vrai soi ; mais c’est à travers les souffrances du Christ, qui nous donne une nouvelle identité en lui. Jésus veut faire de chaque être humain ses frères et sœurs, des fils et des filles du Père Céleste. Face aux souffrances de ces personnes, la posture chrétienne devrait donc être, non pas le rejet, mais la compassion, et l’annonce du Christ mort et ressuscité, qui seul peut nous donner une nouvelle identité pour vivre une nouvelle vie.
2. Apprendre à connaître ma culture pour établir des points de contact et la rejoindre
Pour rejoindre ma culture, et y annoncer l’Evangile avec à propos, il est nécessaire que l’église établisse des points de contact avec celle-ci. Cela implique nécessairement, pour nous, de bien connaître et apprécier la culture dans laquelle on évolue. C’est ce qu’on appelle l’ouverture d’esprit. Et quelqu’un a dit : « un esprit, c’est comme un parachute, il ne fonctionne pas s’il n’est pas ouvert ».
Oui, mais quand on est chrétien, comment s’ouvrir à la culture environnante sans perdre son intégrité et son identité ? Un des outils qui sert à cela est le concept de grâce commune. La grâce commune, c’est l’idée que Dieu s’est révélé à tous les peuples. Dans chaque culture, il y a une perception de Dieu, une perspective sur Dieu, souvent déformée, mais qui est là, qui est latente et à laquelle on doit être attentif. Le concept de grâce commune va nous aider à trouver des points de contact entre l’Evangile et la culture. Car dans chaque culture – tout comme dans chaque être humain – il existe un vide en forme de Dieu, des tensions qui ont besoin d’être résolues, et des souffrances qui ont besoin d’être guéries.
Aussi, lorsque Paul prêche aux athéniens, il est sensible aux points de contacts avec la culture locale. En effet, dans son annonce de l’Evangile, il va citer des poètes athéniens et poètes grecs. Il va affirmer avec eux ce que la Bible peut affirmer. Aratus de Sole dit : « De lui nous sommes la race » (v28). Et la Bible nous dit que nous sommes tous créés à l’image de Dieu, que nous descendons tous de l’homme qu’il a créé. Paul va donc trouver, non seulement dans la religion, mais également dans la culture athénienne, des points de contact, des points communs qu’il peut affirmer avec elle.
Mais Paul va plus loin, puisqu’il va souligner, par exemple :
- l’unité de l’humanité créée par Dieu (v26, 28) ;
- la proximité et l’accessibilité de Dieu (v27) ;
- la transcendance de Dieu qui n’est pas fait avec de la pierre et n’habite pas dans les temples (v24, 29) ;
- le jugement de Dieu et la résurrection (v31).
Paul ne se contente donc pas d’affirmer avec la culture athénienne : « vous, vous croyez que Dieu a tout créé ; nous aussi » ; mais il va aussi annoncer les éléments de l’Evangile qui sont scandaleux pour la culture. Et çà, c’est vraiment important !
En tant qu’église, nous avons le devoir d’enlever de notre prédication tout scandale qui n’est pas nécessaire à l’Evangile, mais il faut maintenir le scandale de la Croix, et ne pas avoir peur d’opposer le message de l’Evangile au message de notre culture, quand cela est nécessaire.
Pour conclure :
La démarche dont nous avons parlé à un nom : c’est ce qu’on appelle l’apologétique culturelle, qui commence par deux questions :
- Qu’est-ce qui m’irrite profondément par rapport à ma culture et pourquoi ?
- Qu’est-ce que, par grâce commune, je peux affirmer avec ma culture, et comment ?
Il y a vraiment une tension pour la personne qui rentre dans cette approche. Il s’agit d’être capable, à la fois, d’aimer et de critiquer ; d’adopter et de rejeter des éléments de la culture.
Mais l’apologétique culturelle implique nécessairement, pour nous, à la fois :
- le besoin de bien connaître la culture dans laquelle on évolue, d’avoir une ouverture, et
- – une attitude critique par rapport à cette culture là.
Attention donc à ne pas partir en guerre contre notre culture. Mais apprenons au contraire, à nous ouvrir au monde qui nous entoure sans nous laisser polluer par lui, car Christ nous y a envoyés pour y être ses témoins (Jean 17.20). Et c’est ainsi qu’en se faisant tout à tous, nous pourrons en gagner quelques uns (1 Corinthiens 9.22 et contexte).
Jean-Christophe Jasmin